Vivre avec nos limites ou s'en libérer ?! Les 5 kleshas tirés des yoga-sûtras de Patanjali.
Tout passe et la vie continue d'apporter son lot de souffrance. En cause, les kleshas, ces limitations de notre esprit qui nous rendent malheureux. Par la méditation et le yoga, nous pouvons toutefois réduire leur influence. Un espace apparaît alors pour une connexion plus profonde.
La vie est elle souffrance ? J'ai toujours eu du mal à voir les choses de cette façon. En considérant , les paroles de sagesse prononcées par Bouddha à propos de la nature humaine, j'ai tendance à me récrier secrètement : "Mais regarde toute cette beauté qui nous entoure! Tandis que j'écris ces lignes je vois la lumière du soleil briller à travers les fenêtres de la maison au fond du jardin. Des enfants aux joues rouges courant joyeusement dans la rue, tout à leur jeux. Et lorsque plus tard, j'aurai terminé cet article, je cuisinerai pour mon amoureux, nous nous raconterons nos journées devant un verre de vin puis nous nous endormirons ensemble. Comment l'essence de la vie peut-être être souffrance ?
On ne peut pas en vouloir à Bouddha quelqu'un qui a vécu jusqu'à l'âge de 29 ans dans un environnement protégé, qui a été élevé en vase clos, littéralement comme un prince, qui se voit ensuite brusquement confronté à la mort et à la vieillesse, ne doit pas garder du monde une vision très favorable. Mais il avait raison sur ce point. Sous la surface, on voit que toute belle chose en ce monde contient une part de souffrance - dukkha, en sanskrit. On ne chasse pas si facilement l'angoisse, la tristesse et la solitude.
Toit à l'heure le soleil se couchera, les ombres prendront possession du jardin. Un jour les fenêtres et les murs de la maison s'écrouleront sous le poids du temps. Dukkha. Mon amoureux s'en ira ou alors c'est moi qui le quitterai, à moins que la séparation n'advienne par la mort de l'un d'entre nous. Dukkha. Les enfants qui courent à présent dans la rue vont devenir adultes, ils se disputeront, connaîtront des frustrations, deviendront peut-être aigris. Et la seule certitude que nous ayons dans la vie est que nous perdrons effectivement tout ce que nous avons.
Ne pas être en harmonie avec le moment tel qu'il se présente, voilà l'essence de la souffrance. Probablement d'ailleurs avez-vous commencé le yoga pour sortir d'un mal-être. Vous vouliez un esprit plus calme ou un corps plus beau, vous aviez mal au dos ou recherchiez une forme de profondeur que vous ne trouviez pas dans votre vie quotidienne. J'ai moi-même commencé les cours de yoga à une période ou je me réveillais tous les jours en sursaut à 4H, à cause du stress et restais allongée, les yeux fixés au plafond jusqu'à ce qu'il fasse clair : Dukkha.
Voici les 5 obstacles nous empêchant de nous libérer de la souffrance
Environ deux cent ans après les révélations de Bouddha sur la souffrance humaine sous l'arbre de la Bodhi, Patanjali écrivit les Yoga-sûtras. Les Yogas-sûtras sont un recueil de préceptes ancestraux issus de la doctrine du yoga et représentent pour tout praticien du yoga le "manuel" le plus ancien qui a été conservé. On pourrait même aller jusqu'à y voir les prémices de la psychologie. Patanjali explique en effet le fonctionnement de la pensée, afin que nous apprenions à apaiser en nous les pensées parasites et à vivre en harmonie avec le monde environnant. La cause de toute souffrance réside selon Patanjali dans les 5 kleshas. Les kleshas sont les limites fondamentales de notre esprit, qui font que nous ne percevons pas le monde tel qu'il est. Beaucoup de traductions ont été proposées pour ce concept : " affliction", " obstacles mentaux" , "émotions destructrices" . Vous pourriez également les considérer comme les cinq défauts de conceptions fondamentaux de notre système et qui nous rendent malheureux. Les kleshas les plus basiques sont Raga et Dvesha, le désir et l'aversion. Raga est notre attachement aux expériences agréables. Dvesha notre aversion envers les expériences désagréables. Ces deux kleshas sont livrés avec notre équipement évolutionniste de base : nous réagissons de manière instinctive aux sensations agréables et désagréables, et notre cerveau est paramètres pour les enregistrer avec soin et guider notre comportement en fonction de ces expériences. Ce mécanisme est destinés à accroître nos chances de survie, mais limite également notre liberté de choix. Raga est l'appel obsédant du frigo lorsque nous nous sentons seul le soir sur notre canapé. Dvesha est l'incapacité à trier une fois pour toute le tas de factures, à sortir du lit pour la méditation du matin ou à tenir une posture de yoga qui nous confronte à nos ishios-jambiers peu élastiques. Si nous écoutons toujours ces instincts et ces émotions, nous restons prisonniers d'une série infini de réflexes conditionnés. Cela nous empêche d'être présent dans l'instant avec notre pleine attention.
Avidya ( a = non, vidya = voir) est l'incapacité à voir le monde tel qu'il est.
Nous ne nous en rendons d'ailleurs pas compte ! De manière générale et tacite, nous pensons voir les choses très lucidement. Mais notre regard est souvent troublé : conditionnements, peurs et désirs font que nous regardons le monde à travers des lunettes aux verres dépolis. Parce qu'une expérience déplaisante entrave toujours notre chemin par exemple. Ou parce que nous attendons un résultat particulier. Et nous nous identifions complètement à notre interprétation de la réalité.
C'est là que le quatrième kleshas pointe le bout de son nez : Asmita. Asmita est notre tendance à faire de nos expériences personnelles et subjective le centre du monde. C'est l'illusion qu'il existe une sorte de MOI immuable, porteur de caractéristiques permanentes et indépendant du reste du monde. Et parce-que nous voulons coûte que coûte conserver cette illusion de moi, nous finissons par tomber dans le piège tendu par Abhinivesha, le cinquième Klesha, à savoir l'attachement à la vie. Il ne s'agit pas seulement de l'angoisse de la mort, bien que celle-ci soit inscrite dans notre instinct primitif. Plus terrifiante encore que la mort physique est la conscience qu'avec elle se termine également ce que nous considérons comme notre moi. Et qu'il nous faudra quitter tout ce qui nous est devenu cher.
Mon vélo, ma moto, ma maison, mon travail, moi professeure de Yoga...Comment le Moi peut-il être une illusion ? Qui donc st en train de lire ces lignes ? De tous les kleshas, asmita est peut-être le plus difficile à comprendre. C'est leklesha le plus "profondément conditionné "
Sur la base de nos aversions et préférences conditionnées, nous construisons une histoire en "je","moi","mon". Plus nous vieillissons, plus nous rassemblons d'histoires à propos de nous mêmes et plus il devient facile d'y croire". C'est ainsi que nous nous attachons à notre identité: nous nous sentons homme ou femme, comptable ou adepte du yoga, fervent lecteur ou amateur de cuisine indienne, battant ou raté. Mais il n'existe aucun moi éternel. Il n' y a que des états de l'être changeant qui créent l'illusion d'une personne permenente. La croyance en un moi immuable à pour conséquence que l'on va considérer certaines choses comme nous appartenant; Toute la journée, nous collons des étiquettes "je", "moi" et "mon" sur tout ce qui nous entoure : mon vélo, mon travail, ma maison. Si quelqu'un fait tomber ce vélo et que vous le retrouver la roue tordue, vous vous sentez personnellement touché, comme si vous même aviez reçu le coup de pied. Toute histoire en "je" créer de l'attachement donc de la souffrance. Considérer que tout ce que vous désigner par les mots en "je" et "mon" appartient à la nature" conseille le sage Sanat Kumara dans un des vers des Upanishads. Un jour il nous faut quand même le rendre. Le plus douloureux, c'est lorsque nous collons cette étiquette possessive sur des personnes. C'est la recette de la déception. Mon amoureux par exemple, ne partage absolument pas mes opinions politiques. Régulièrement nous nous enferrons dans des discussions enflammées qu'il semble apprécier mais qui me laissent toujours avec un sentiment de désespoir. Pourquoi au fond ? Parce-que je n'ai pas réussi à le convaincre ? Parce qu'au fond de moi, je trouve que les amoureux devraient être d'accord sur tout et qu'ils devraient satisfaire aux attentes de leur dulcinée ?
En réalité, je lui assigne la tâche de valider mon idée de l'amour en étant d'accord avec moi.
Je, mon, moi, Dukkha = souffrance.
Et n'allez pas penser que les personnes ayant une faible estime d'elle mêmes sont moins entravées par ce genre d'histoire en "je". Au contraire, un égoïste abîmé réclame toute la journée de l'attention : " je n'y arrive pas ", " personne ne fait attention à moi" , c'est ma faute". Les personnes peu sûre d'elles sont peut être les pires colleuses d'étiquettes.
Pratiquez !
Pour les occidentaux modernes que nous sommes, il est sans doute encore plus difficile d'abandonner ces histoires en "je" que cela ne l'était pour les contemporains de Patanjali. Notre société est en effet obsédée par les histoires en "je" ( il suffit de voir le nombre de personnes se pavanant et affichant leurs histoires personnelles sur les réseaux sociaux comme si elles étaient le centre du monde, comme si leurs familles ou ce qu'elles vivaient était tellement important qu'il fallait à tout prix l'afficher sur les réseaux sociaux ! ) . Nous croyons tellement en l'individu aujourd'hui qu'il nous est presque impossible de concevoir que notre personnalité n'est qu'un enchevêtrement d'histoires que nous nous racontons à propos de nous mêmes. Même la psychothérapie, réponse occidentale à la souffrance de l'homme, s'est échafaudée autour de concepts tels que la personnalité, l'image de soi et la confiance en soi. Que la libération réside au contraire dans la dissolution de ce moi, comme le prescrivent la philosophie du yoga et bouddha, est pour nous une conception étrange. " La plupart du temps en thérapie, on remplace tour simplement une histoire en "je" par une histoire en "je".
Le yoga ajoute à cela une étape : La conscience que nous pouvons traverser la vie plus léger dès lors que nous comprenons que toutes ces histoires en "je" ne sont que des constructions. En nous libérant de l'emprise des kleshas, nous arrêtons de regarder constamment le monde de notre point de vue personnel.C'est alors qu'apparaît l'espace pour la connexion.
Ce qu'il faut faire pour y arriver ? " L'autoanalyse n'aide certainement pas " Cela n'a pas de sens de psychologie chaque désir ou chaque angoisse, de rechercher d'ou cela peut provenir : de cette manière, vous vous identifiez à des histoires en "je" ( " tu vois je n'ai pas reçu en tant qu'enfant la reconnaissance dont j'avais besoin et je suis toujours victime de ce manque ")
Plus utile au contraire est de développer sa compréhension de la pensée. " Par la méditation les kleshas peuvent être ramenés à leur forme plus subtile" dit Patanjali. Et à la question de savoir comment atteindre cette objectif, la réponse est toujours la même : PRATIQUEZ !
On peut effectuer des asanas sur son tapis mais les chemins de la pensée sont plus aisément observables sans l'interférence du mouvement. La méditation assise est donc préconisée, chaque jour avec discipline et dévotion. C'est ainsi qu'au fur et à mesure, vous vous rendrez compte plus rapidement si vous agissez par attachement, par angoisse ou par aversion ou si c'est l'égo qui vous guide. Et cela vous donnera le temps pour prendre une longue inspiration ou tourner 7 fois votre langue dans votre bouche. chaque difficulté éprouvé est une occasion de vous entraîner. Et chaque jour offre son lot d'occasions; car si tout ce qui est beau dans ce monde porte en lui les germes de la souffrance, chaque larme recèle une perle de délivrance.